La Normandie abonde en noms de lieux d’origine scandinave, qui permettent de délimiter la colonisation viking, voire de la dater, d’en déterminer la densité et même de savoir plus précisément ses colons. Les toponymes scandinaves en Normandie sont d’un intérêt considérable, on peut les diviser en deux grands groupes :
Parmi les plus nombreux au sein de ce premier groupe, il y a tout d’abord les toponymes en "bec". Le norrois"bekkr" (vieux danois "baek") signifie "ruisseau" et le mot est passé très tôt dans le dialecte normand. Il a servi en toponymie à désigner les petits cours d’eau puis, par extension, à dénommer certaines localités voisines de ces cours d’eau, tout comme en scandinavie où il est également très courant.
Les toponymes en "dale" (ou "dalle) issus de l’appellatif norrois "dalr" qui signifie "vallée". Ils ont d’abord désigné les dépressions du sol et, ensuite les localités qui y étaient situées. L’appellatif "dalr" a été très courant dans la toponymie scandinave, mais moins répandu au Danemark et en Scanie, où la nature est moins accidentée.
Pour les forêts, on ne rencontre aucun toponyme issu de l’appellation "skogr", qui décrit une grande forêt. En revanche, nombreux sont les toponymes en "londe" (ou "lon"), issus de "lundr" (taillis, bosquet, bois), appellatif largement utilisé en Scandinavie et dans le Danelag.
Les toponymes en "homme" et en "hou" issus du norrois "holmr" ou "holmi" (vieux danois "hulm"), qui désigne tout d’abord un îlot, mais aussi une éminence au milieu d’un terrain marécageux ou encore une langue de terre, partiellement entourée par un ou plusieurs cours d’eau. En Normandie, il revêt ces trois significations.
L’appellatif "holmr" a également abouti à "hou", après vocalisation du l et chute du m et, sous cette forme, il a servi, à désigner des îlots et des rochers des côtes du cotentin et des îles anglo-normandes, ainsi que des localités du cotentin plus ou moins entourés d’eau. Les toponymes en "hogue" ou "hougue" sont issus de l’appellatif norrois "haugr", qui signifie un tertre, une éminence, une hauteur, un monticule. En "houle" viennent du norrois "hol" ou "hola" (trou, creux), passé dans le dialecte normand sous la forme "houle".
Il est possible que bien des toponymes en "mare" utilisent l’appellation du norrois "marr" qui signifie, à l’origine, la mer, mais qui en Normandie a pris le sens de petit étang, d’eau stagnante. Il a d’abord désigné l’étang, puis les lieux habités au voisinage d’une petite étendue d’eau. Emprunté en français, le mot a ensuite été largement employé dans l’ensemble du pays.
En "fleur", issus pour la plupart du norrois "floo", qui désigne un golfe, un large estuaire. En"grune" sont issus du norrois "grunnr" (fond marin, haut fond). En "vic" reprennent l’appellatif norrois "vik" (anse, baie), qu’on trouve rarement seul et précédé de l’article, mais presque toujours en composition.
Certains toponymes en "hague" issus de l’appellatif "hagi" (enclos, pâturage). D’autres sont issus du norrois "haka, qui désigne un promontoire dans la toponymie norvégienne et danoise. Outre le cap de La Hague, on trouve, sous sa forme diminutive, Le Haguet, un rochet situé devant Guernesey. Il faut sans doute rapprocher de "haka", les toponymes en "hoc", attribués également à des promontoires. En "nez" viennent sans doute aussi du norrois. L’appellatif "nes" (cap) est passé dans le dialecte normand et a servi à désigner des promontoires.
En s’installant en Normandie, les colons scandinaves ont évidemment marqué l’habitat et sa toponomie. Ils ont fréquemment rebaptisé d’anciennes localités dont ni l’emplacement, ni la population n’ont changé, et ils ont eux-mêmes crée de nouveaux établissements, souvent de type secondaire, en dehors des centres principaux existant déjà, et qui devinrent généralement des hameaux par la suite.
Les toponymes en "tot" ont connu une extension toute particulière.L’appellatif norrois "toft" désignait à l’origine un terrain destiné à une habitation, puis ce même terrain avec l’habitation. C’est ce sens qu’on retrouve dans les nombreux toponymes danois en "tofte" au pluriel, désignant alors l’ensemble du village.
Les toponymes en "boeuf" sont, dans la plupart des cas, issus de l’appelatif norrois "buo", qui désigne une cabane, une baraque.
Les toponymes en "cote" viennent de l’appellatif norrois "kot", qui désigne une hutte, une cabane.
Les quelques toponymes en "hus" viennent de l’appelatif norrois "hus" : maison, quant aux divers "Houlgate", ils sont formés de l’adjectif "holr"(creux) et de l’appelatif "gata" (rue, chemin) et ont effectivement désigné, à l’origine, des "chemins creux", puis, par extension, les champs ou les hameaux qui les bordaient.
Les toponymes en "gard" sont issus de l’appellatif norrois "garor" qui désigne l’enclos (le plus souvent cultivé) auprès d’une ferme.
Enfin, particulièrement nombreux, les toponymes en "tuit" viennent de l’appellatif norrois "oveit", qui signifie défrichement et a beaucoup été utilisé au Danemark, dans le sud de la Norvège ainsi que dans le Danelag.
Comment expliquer le fait qu’il y ait si peu de toponymes en "torp" et en "bu" sur le territoire normand ? Pourquoi les colons, qui ont apporté avec eux les types de formation toponymiques en usage dans leurs pays ou dans les colonies d’Angleterre, ont-ils renoncé à l’utilisation de ces deux types importants ? Tout simplement parce qu’ils ont adopté un autre mode de dénomination : celui qu’ils découvrirent en Normandie et qui nous vaut les très nombreux noms de lieux en "ville" dans lesquels le premier élément est un anthroponyme scandinave. L’appelation latin "villa" était utilisé à l’époque romaine pour désigner une maison de campagne, une ferme d’agrément.
En gallo-roman, ce sens s’est étendu à tout domaine rural et, comme souvent les "villae" sont devenues de véritables villages, "villa" a fini par signifier "village". Cet appellatif a été employé en toponymie dès le IVè siècle et, dans la moitié nord de la France, les toponymes en "ville" sont en fait caractéristiques de l’influence germanique : en Normandie, ils ont souvent pour premier élément un anthroponyme franc ou même saxon. Lorsque les colons scandinaves se sont fixés dans certaines régions de la Normandie à la fin du IXè et surtout au cours du Xè siècle, ils y ont trouvé une quantité de toponymes en "ville", héritage des populations gallo-franques. Francisés en l’espace d’une ou deux générations, ils ont très vite adopté le type toponymique le plus courant autour d’eux parmi les populations autochtones.
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